Sommes-nous vraiment des poussières d’étoiles ?

Selon l’expression bien connue, nous sommes tous des poussières d’étoiles. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Que toute la matière qui nous entoure, et même celle qui nous compose, est en fait créée dans les étoiles. Voici comment.

photographie nebuleuse

Les étoiles éjectent dans l’espace les éléments chimiques qui se créent en leur sein par des rejets de gaz. Les astres de faible masse, entre 0,5 et 8 fois la masse du Soleil, achèvent notamment leur existence en une élégante nébuleuse planétaire irisée, comme la nébuleuse Helix ci-dessus. Crédit : Nasa/Esa/M. Meixner/T.A. Rector

Peu à peu, les étoiles massives enrichissent l’Univers

Les atomes qui composent la matière qui nous entoure, la Terre elle-même ainsi que tous les autres corps du Système solaire, sont produits dans les étoiles.

En effet, quelques centaines de millions d’années après le Big Bang, il y a environ 13 milliards d’années, l’Univers n’était constitué que de deux éléments chimiques : l’hydrogène (H) et l’hélium (He) au sein des étoiles. Puis au cours de leur évolution, ces astres ont été le siège de réactions nucléaires successives, c’est-à-dire de réactions entre les noyaux de leurs atomes.

Pour rappel : le noyau d’un atome autour duquel gravitent des électrons se compose de nucléons, c’est-à-dire de protons et de neutrons. Ces particules élémentaires sont chargées positivement pour les premières, et non chargées pour les secondes. Le noyau le plus simple qui existe est celui d’hydrogène, composé d’un seul proton. Enfin, plus un atome possède de protons et de neutrons, plus il est lourd.

Ces réactions ont donné naissance à des atomes plus lourds, comme le carbone ou l’oxygène. La quantité initiale d’hydrogène d’une étoile étant le carburant de ces réactions, les étoiles de faible masse ne produisent que peu d’atomes lourds. Ils sont ensuite éjectés dans l’espace via des rejets de gaz.

Ainsi, ce sont les étoiles massives qui ont tenu et tiennent encore le premier rôle dans la création des éléments chimiques de l’Univers. La succession de réactions nucléaires qui s’y produit donne naissance à des atomes toujours plus lourds et complexes, jusqu’à aboutir à l’élément fer (26 protons, 30 neutrons), un des plus stables. Les nouveaux atomes sont ensuite éjectés dans l’espace à la mort de l’étoile, lors de son explosion en supernova. Générations après générations, les étoiles massives enrichissent peu à peu l’Univers en éléments lourds, donnant naissance à une chimie complexe et… à l’opportunité de créer la vie.

Nébuleuse dans la constélation du signe

Un résidu de supernova : les Dentelles du Cygne, une nébuleuse qui se déploie magnifiquement dans la constellation du Cygne et que l’on peut observer avec un télescope d’amateur de moyenne puissance (la photo est cadrée sur une partie de la nébuleuse appelée Triangle de Pickering). L’étoile qui a explosé a dispersé sa matière dans l’espace sous forme de belles volutes de gaz. Crédit : Georges Chassaigne – Concours photo Stelvision

Shema

À la fin de sa vie, une étoile possède une structure en « pelure d’oignon », formée de couches successives qui contiennent les éléments qu’elle a précédemment créés. Les atomes les plus légers ont été repoussés à l’extérieur, comme l’hydrogène, et les éléments lourds sont au centre. Sur ce schéma, sont également représentés la photosphère, couche de gaz qui constitue la surface visible des étoiles, et leur basse atmosphère appelée chromosphère. Crédit : Jean-François Becquaert dans Le Sahara vient des étoiles bleues

La nucléosynthèse

La succession de réactions nucléaires dans les étoiles s’appelle nucléosynthèse. Un nom barbare pour en fait désigner un phénomène simple : dans une étoile, les phases de fusion successives de noyaux d’atomes.

Au début de sa vie, une étoile se compose principalement d’hydrogène. Puis, ce gaz se contracte, généralement sous l’effet d’une perturbation extérieure (onde de choc, passage d’une autre étoile), chauffe, et quand la température atteint 10 millions de degrés, se transforme en hélium. C’est la fusion nucléaire : deux noyaux d’hydrogène du cœur de l’étoile s’interpénètrent. Ceci n’est possible que si la température est très élevée et que les deux noyaux ont assez d’énergie pour vaincre la répulsion naturelle qui oppose leurs deux charges positives.

La fusion de l’hydrogène s’arrête lorsque 10% de la quantité totale d’hydrogène de l’étoile ont été consommés. La température augmente alors à plus de 100 millions de degrés et c’est la fusion de l’hélium (noyau à 2 protons et 2 neutrons) qui démarre. Cette réaction nucléaire va donner naissance au carbone (6 protons, 6 neutrons), et ainsi de suite jusqu’au fer, un élément particulièrement stable. À la fin du processus, l’étoile présente une structure en pelure d’oignon. Le fer est au centre, surmonté d’éléments de plus en plus légers qui ont été repoussés au fur et à mesure vers l’extérieur de l’étoile, jusqu’à l’hélium et l’hydrogène.

Les éléments plus lourds que le fer

Par ailleurs, les étoiles ne se limitent pas à la production des éléments plus légers que le fer. Les astres les plus massifs sont en fait à l’origine de tous les éléments connus. Car une fois la nucléosynthèse terminée, le cœur de l’étoile composé de fer est si dense qu’il s’effondre sur lui-même, donnant naissance à une supernova.

https://youtu.be/A1SSwE0dlMQ

La nucléosynthèse comme si vous y étiez. Crédit : CEA

Ce phénomène produit de l’énergie, mais aussi des particules, et notamment des neutrons. Sans charge électrique, ils peuvent aisément se greffer à d’autres noyaux pour former des noyaux plus complexes, et se lient donc au fer. C’est grâce à cette capture lente de neutrons par les atomes, appelée processus s, que sont produits des éléments plus lourds que le fer comme l’étain (50 protons, 68 neutrons).

L’origine de l’or élucidée grâce aux ondes gravitationnelles

D’autre part, lors de l’explosion d’une supernova, se produit une capture rapide de neutrons. Appelée processus r, cette capture a lieu à des densités de neutrons et des températures plus élevées que le processus s. Elle se produit quand les couches internes de l’enveloppe de l’étoile s’écrasent sur le noyau stellaire. Des neutrons sont alors créés en grandes quantités, et les noyaux atomiques présents dans l’astre sont confrontés à un fort flux de ces particules. Ils sont obligés d’en absorber plusieurs à la fois avant de pouvoir se transformer, d’où l’apparition d’éléments encore plus lourds que les précédents, par exemple le platine (78 protons, 117 neutrons) et l’or (79 protons, 118 neutrons). Enfin, les atomes lourds produits par les processus s et r peuvent à leur tour capturer un ou plusieurs protons. Ce phénomène nommé processus p se produit également dans les supernovae.

Le 17 août 2017, ces trois processus ont été observés pour la première fois. Ce jour là, des ondes gravitationnelles issues de la collision de deux étoiles à neutrons sont détectées (voir notre dossier Les ondes gravitationnelles). Un fait inédit. Après avoir localisé la source du phénomène, les télescopes terrestres et spatiaux ont alors pu observer en détails ce cataclysme cosmique. Or, lors de la fusion de deux étoiles à neutrons, une fraction de la matière brûlante et dense des deux astres est éjectée du système, donnant lieu à une émission lumineuse d’un genre très particulier: une kilonova.

Pour les astrophysiciens, au sein de cet éjecta très riche en neutrons, de très nombreuses réactions nucléaires forment des éléments lourds par nucléosynthèse. À ce jour, les kilonovae sont la seule preuve observationnelle de la synthèse des éléments les plus lourds de l’Univers, comme l’or.

Vue d’artiste d’une kilonova

Vue d’artiste d’une kilonova, produite par la fusion de deux étoiles à neutrons, événement exceptionnel observé le 17 août 2017. Ce phénomène est la seule preuve observationnelle de la synthèse des éléments les plus lourds de l’Univers, comme l’or. Crédit : ESO/L. Calçada/M. Kornmesser

CHNOPS

Pourquoi l’expression désormais consacrée introduite pour la première fois par l’astronome américain Carl Sagan, « nous sommes tous des poussières d’étoiles », fait-elle sens ? Car chaque être vivant sur Terre est fait de CHNOPS – aucune similitude avec l’eau de vie germanique – c’est-à-dire de six éléments chimiques principaux, en différentes concentrations : carbone (C), hydrogène (H), azote (N), oxygène (O), phosphore (P) et soufre (S). Plus précisément, 97 % des 7 milliards de milliards de milliards d’atomes (7×1027 atomes) qui nous composent sont des CHNOPS.

En 2016, des astronomes du programme Sloan Digital Sky Survey (SDSS) ont mesuré la concentration d’une trentaine d’éléments atomiques dans les atmosphères, pour la première fois, de plus de 150 000 étoiles de la Voie Lactée, et ont notamment relevé des abondances non négligeables de CHNOPS.

Tous ces éléments se sont formés il y a plus ou moins longtemps à des endroits plus ou moins éloignés du nuage moléculaire qui a donné naissance à notre Soleil, et où ils se sont retrouvés piégés. Ce nuage s’est constitué il y a 4,6 milliards d’années par effondrement de la matière après l’explosion d’une supernova… Cet évènement parent de notre Système solaire est baptisé Coatlicue (la mère du Soleil dans la cosmogonie aztèque).

Enfin, les données du programme SDSS montrent une forte abondance d’atomes lourds, comme l’oxygène qui nous compose à 65%, au centre de la galaxie où se trouvent les étoiles les plus vieilles. Ainsi, il est très probable que les éléments qui nous constituent aient été créés, il y a bien longtemps, dans les étoiles proches du centre de notre galaxie.

Liste des élément qui constitue l'Homme

Sur cette image, les sept graphiques correspondent à des morceaux de spectres d’absorption de sept étoiles, chacune située proche du centre de notre galaxie. Un creux bleu (code couleur pour l’oxygène), signifie que l’oxygène présent dans l’atmosphère d’une étoile a absorbé le rayonnement émis par celle-ci, d’où une plus faible quantité de rayonnement mesuré sur Terre, le creux. Plus le creux est important, plus il y a d’oxygène dans l’atmosphère de l’étoile.
Le corps humain sur la gauche est codé avec les mêmes couleurs pour montrer dans quel organe intervient plus particulièrement chacun des CHNOPS, de l’oxygène dans les poumons au phosphore dans les os. La galaxie en fond est notre Voie Lactée. Le centre du motif bleu est placé sur la Voie Lactée, à l’emplacement du Système solaire. Chaque petit point bleu représente une des 150 000 étoiles sur lesquelles ont été effectuées les mesures SDSS. Crédit : Dana Berry/SkyWorks Digital Inc./SDSS collaboration