Mars 2020 : deux scientifiques toulousains décryptent la mission

Olivier Gasnault et Sylvestre Maurice sont astronome et planétologue à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse. Experts de Mars, ils sont responsables scientifiques de l’instrument SuperCam, qui est arrivé en février 2021 sur la planète rouge à bord du rover Perseverance de la mission Mars 2020. Les chercheurs décryptent pour Stelvision les objectifs de cette mission.

Sylvestre Maurice et Olivier Gasnault de l’Irap (Toulouse).
Crédit : Fleur Olagnier

La mission Mars 2020

Quels sont les objectifs de la mission Mars 2020 ?

Olivier Gasnault : Mars 2020 s’inscrit dans la continuité de la mission Mars Science Laboratory (MSL) et de son rover Curiosity, toujours en opération sur la planète rouge. Le décollage est planifié le 17 juillet prochain pour une arrivée sur Mars le 18 février 2021. Tandis que l’objectif de MSL était la recherche d’éléments prouvant l’habitabilité de la planète rouge, Mars 2020 va plus loin en s’intéressant à la quête de molécules prébiotiques, c’est-à-dire des molécules organiques qui sont de potentielles traces de vie. Le but est de déterminer si les éléments chimiques et d’environnement qui font que la vie a pu démarrer sur Mars sont présents. Nous parlons bien sûr de vie passée, car s’il y a de la vie aujourd’hui, elle est forcément souterraine. Le rover de Mars 2020 est très similaire à Curiosity, simplement plus lourd – environ 1,1 tonne.

Vue d'artiste du rover de Mars 2020 sur le sol martien. Il ressemble beaucoup à Curiosity actuellement sur Mars avec ses six roues, son mât où se trouve SuperCam et son bras mécanique.
Rover de la mission Mars 2020 dont le futur nom fait l’objet d’un concours auprès des écoliers américains.
Crédit : Nasa/JPL-Caltech

Quelle zone de Mars doit être explorée ?

O. G. : Le cratère Jezero, un site encore inédit de 50 kilomètres de diamètre sur lequel nous avons la preuve qu’il y a quelques milliards d’années se trouvait de l’eau. On suppose que c’est l’emplacement d’un ancien lac et d’un delta. De plus, la zone est sédimentaire : elle contient des dépôts, donc des informations préservées sur le passé de la surface martienne. Ce terrain n’est pas aussi ancien que ceux datant de la période où il y avait le plus d’eau sur la planète rouge, car il fallait sélectionner un lieu un minimum conservé. En effet, plus un terrain est vieux, plus il a de chances d’avoir été altéré, par des bombardements météoritiques par exemple.

Vue de desus du cratère Jezero où va se poser Mars 2020.
Le cratère Jezero dans lequel va se poser la mission Mars 2020.
Crédit : Nasa/JPL/JHUAPL/MSSS/Brown University

Pour la première fois, Mars 2020 prévoit le retour d’échantillons martiens ?

O. G. : En effet, entre 20 et 60 carottages de quelques centimètres de sol martien vont être effectués. À la différence de la mission MSL, ils vont être placés dans un container scellé puis déposés sur le sol de Mars en attendant que l’on vienne les chercher. La Nasa et l’Esa travaillent sur au moins deux missions de ce type : une première qui devra placer la capsule en orbite autour de Mars, puis une deuxième pour la ramener sur la planète bleue. L’étude des échantillons sur Terre permettra d’utiliser les instruments de laboratoire les plus performants au monde, ce que l’on ne peut pas faire in situ sur Mars.

Vue d'artiste de la mission de retour d'échantillons développée par la Nasa et l'Esa : on voit à gauche Mars avec une mini fusée qui décolle emportant les échantillons, vers une sonde en orbite qui devra les réceptionner.
Vue d’artiste de la future mission de retour d’échantillons développée par la Nasa et l’Esa.
Crédit : ESA/ATG Medialab

Quelles sont les autres grandes nouveautés de la mission ?

O. G. : Mars 2020 doit préparer l’exploration humaine. L’instrument américain Moxie aura pour mission de démontrer qu’il est possible de fabriquer de l’oxygène sur Mars, à partir de l’atmosphère martienne. C’est une expérience simple à réaliser sur Terre, pour la première fois testée sur la planète rouge.

Par ailleurs, la mission va emporter avec elle un petit hélicoptère d’environ 30 cm3. Le challenge technologique est important car l’atmosphère de Mars est très peu dense donc il y a peu d’air sur lequel s’appuyer pour voler… Si le défi est réussi, avoir la possibilité de se balader librement avec un drone aura un fort intérêt pour l’étude des couches géologiques, puisque nous ne serons plus cantonnés au fond des cratères mais pourrons voler librement le long des falaises. Cela permettrait aussi de repérer les chemins les plus intéressants et praticables pour le rover, ce qui est aujourd’hui fait par satellite.

Photo du modèle de vol du Mars Helicopter Scout, l'hélicoptère qui va embarquer sur Mars 2020. Il est posé sur un socle bleu, au centre de l'image, on voit bien ses 4 pales.
Modèle de vol du Mars Helicopter Scout photographié en février 2019.
Crédit : Nasa/JPL

Sylvestre Maurice : La mission va aussi amener le tout premier micro sur Mars. Plusieurs fois un tel appareil a failli partir, mais a été retiré par manque de justification scientifique. Nous avons cette fois réussi à prouver son intérêt pour la science, au-delà d’une simple écoute du vent martien. Nous allons être capables de percevoir le bruit qui résulte des tirs laser de l’instrument SuperCam sur les roches. La différence d’intensité des sons entendus permettra de différencier les roches. Il y a aussi des objectifs annexes, comme la caractérisation de l’atmosphère et l’écoute et la surveillance de l’activité de certains systèmes du rover.

MSL et Curiosity

Quel sont les principales découvertes du rover Curiosity toujours en opération sur Mars ?

S. M. : La plus grande découverte réalisée en 2013 par l’ensemble des instruments de MSL est sans aucun doute la preuve de l’habitabilité passée de Mars. C’est notamment la présence d’eau liquide douce, ni acide ni basique, de traces de sulfures et de chimie organique, qui en sont la preuve. Cette découverte a eu lieu dans une zone appelée Yellowknife Bay, dans le cratère de Gale où se trouve Curiosity.

O. G. : Le cratère de Gale avait été choisi car on y trouve des argiles capables de piéger les molécules prébiotiques. Nous avons pu observer que ces argiles ont été transformées à des degrés plus ou moins importants, ce qui est un marqueur d’une circulation passée d’eau souterraine.

Selfie pris du rover Curiosity par lui-même en octobre 2019 : on y voit le rover sur le sol martien de jour, son ombre sur le sol vers l'avant de la photo.
Selfie pris du rover Curiosity par lui-même en octobre 2019.
Crédit : Nasa/JPL-Caltech/MSSS

Que devient l’instrument ChemCam (prédécesseur de SuperCam) ?

ChemCam a été conçu et développé à l’Irap à Toulouse par les équipes de Sylvestre Maurice et Olivier Gasnault. L’instrument effectue des tirs laser sur les roches martiennes jusqu’à 9 mètres de distance. Au contact de cette impulsion, les roches visées sont vaporisées à plus de 8 000 °C ce qui engendre la création d’un plasma. L’analyse de ce plasma à distance en spectroscopie UV-visible permet de déterminer la composition des roches.

S. M. : Jusqu’à présent, ChemCam a effectué plus de 720 000 tirs lasers (soit 300 par jour), donc plus de 720 000 spectres – cartes d’identité des roches – différents ont été obtenus. Environ 2 500 cailloux martiens sur plus de 20 kilomètres parcourus par Curiosity, ont ainsi pu être analysés. À ce jour, c’est la plus grosse statistique géochimique qui existe sur Mars.

Animation qui montre ChemCam en action sur le sol de Mars.
L’instrument ChemCam en action (animation).
Crédit : Nasa_JPL-Caltech

L’instrument SuperCam

Quelles sont les spécificités de SuperCam ?

S. M. : Le rover de Mars 2020 est le plus complexe jamais réalisé pour une mission spatiale et SuperCam peut-être l’instrument le plus élaboré de cette mission. Son premier objectif est de faire aussi bien que ChemCam. L’instrument possède le même type de laser « rouge », et en plus, se dote d’un spectromètre Raman qui utilise un laser vert.

Photo où l'on aperçoit le laser vert de la technologie Raman qui équipe SuperCam.
Illustration du laser vert de la technologie Raman, grande nouveauté de SuperCam.
Crédit : Cnes/Gwenewan Le Bras/2019

S. M. : Cet appareil fait vibrer des molécules, c’est-à-dire les excite. Quand ces molécules reviennent dans un état stable, des photons sont émis. Environ un photon sur 100 000 – information très fine – passe alors dans une autre gamme d’énergie et fournit des informations sur les liaisons entre les atomes, et donc les molécules en présence. ChemCam lui, ne repérait pas les molécules mais seulement les atomes. Le Raman est une technique de laboratoire connue, qualitative mais pas quantitative – on sait qu’il y a telle molécule mais pas combien – qui va être utilisée pour la première fois dans l’espace.

Vue d'artiste de SuperCam en action : on voit l'instrument en haut du mât qui tire au laser vert sur les roches.
Vue d’artiste de SuperCam en action.
Crédit : Thales

S. M. : Il y aura aussi un spectromètre infrarouge. Celui-ci utilise l’excitation infrarouge induite par le Soleil sur les roches pour déterminer des signatures d’absorption et caractériser ces roches. Ce sera le premier envoyé sur Mars.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour fabriquer SuperCam ?

S. M. : Nous avons perdu notre modèle de vol – en décembre 2018 – à cause d’un test qui a mal tourné… Il a fallu reconstruire en totalité un instrument que nous avions fabriqué pendant deux ans. Et tout cela en seulement six mois ! Cela a été très dur. En tout, 200 personnes ont participé à l’élaboration de l’instrument et au plus fort de l’intégration pour rattraper notre retard, 50 ingénieurs et scientifiques travaillaient en même temps. SuperCam a finalement été livré fin juin 2019 et les derniers tests ont eu lieu en décembre.

Un ingénieur en train de travailler en blouse bleue sur le modèle de vol de SuperCam : instrument doré au premier plan.
Derniers essais de SuperCam à l’Irap avant sa livraison au JPL en juin 2019.
Crédit : Cnes/Alexandre Ollier

Il y a eu des tests fonctionnels, d’environnement sur les vibrations, les chocs, la thermique, l’électromagnétique et des essais de performance. Les derniers tests ont eu lieu sur l’opérabilité, et nous continuons d’affiner nos codes informatiques pour la commande de l’instrument à distance. Pour l’instant, tous les voyants sont au vert.

Modèle de vol numéro 2 de SuperCam : instrument doré en gros plan.
Modèle de vol numéro 2 de SuperCam en avril 2019.
Crédit : Cnes/Gwenewan Le Bras