Oumuamua, ce voyageur interstellaire qui a créé la polémique

Détecté pour la première fois en octobre 2017, Oumuamua est le tout premier objet interstellaire jamais repéré par l’Homme. En 2021, il a suscité beaucoup de discussions, notamment suite aux propos d’un professeur d’Harvard qui soutient que ce corps serait le vestige d’une civilisation extraterrestre « évoluée »… Décryptage.

Vue d'artiste du petit corps d'origine interstellaire Oumuamua. On voit sur un fond noir étoilé, un disque de couleur rougeâtre, irrégulier, avec au milieu vers la droite un cratère assez important.
Oumuamua pourrait avoir la forme d’un « pancake » géant. Crédit : William Kenneth Hartmann

A la suite de notre dossier sur les astéroïdes, nous vous avions parlé d’un zoom sur l’étonnant voyageur extrasolaire Oumuamua. Chose promise, chose due.

« Oumuamua pourrait être une sonde pleinement opérationnelle envoyée intentionnellement à proximité de la Terre par une civilisation extraterrestre », affirme Avi Loeb, directeur du département d’astronomie de l’université de Harvard de 2011 à 2020, actuellement à la tête de l’Institute for Theory and Computation du prestigieux établissement américain.

Photo d'une grande photo en noir et blanc d'Avi Loeb (tableau) dans laquelle il montre la paume de sa main gauche avec écrit le message : "Are we alone ?"
Portrait d’Avi Loeb dans l’exposition photo « Fascination of Science » (2020). Crédit : Herlinde Koelbl

Physicien de formation, Avi Loeb défend l’hypothèse qu’Oumuamua a été conçu, construit et lancé par une intelligence venue d’ailleurs. Une théorie qui interpelle. Comment un professeur de sciences dures peut-il avancer une telle idée ? Que sait-on vraiment d’Oumuamua ?

Trajectoire ouverte

Notre visiteur est détecté pour la première fois par le programme de relevé astronomique de l’université de Hawaï Pan-STARRS, le 19 octobre 2017. Après avoir frôlé le Soleil en septembre, il passe au plus proche de la Terre et entame le voyage de retour vers de lointaines contrées. « Les calculs montrent que ce corps a une trajectoire ouverte, ou hyperbolique, c’est-à-dire non gravitationnellement liée au Soleil« , explique Yaël Nazé, maître de recherches FNRS à l’université de Liège (Belgique) et spécialiste des étoiles massives.

Schéma sur fond noir de la trajectoire d'Oumuamua : on voit le Soleil point jaune au centre, entouré de quatre ellipses blanches en perspective : les orbites de Mercure, Venus, la Terre et Mars. Au milieu de tout cela, passe Oumuamua, trajectoire hyperbolique qui s'approche du Soleil puis de la Terre et repart, dessiné en couleur jaune-marron.
La trajectoire d’Oumuamua. Crédit : JPL-Caltech

« Oumuamua ne provient pas des réservoirs classiques de notre Système solaire, comme le nuage d’Oort et la ceinture de Kuiper d’où arrivent les comètes, ou la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter« , complète Emmanuel Jehin, maître de conférence FNRS à l’université de Liège et spécialiste des petits corps du Système solaire. « Il arrive nécessairement du milieu interstellaire, l’espace entre les étoiles ! ». 

Oumuamua est donc le tout premier corps extrasolaire à être détecté par l’Homme. Une nomenclature est d’ailleurs créée spécialement pour lui : 1I/Oumuamua, avec le « I » pour « Interstellar ». Pendant deux mois et demi, avant qu’il ne soit trop éloigné, les télescopes du monde entier l’observent. Et de ses variations de luminosité, les astrophysiciens déduisent que l’astre possède une dimension beaucoup plus grande que l’autre, c’est-à-dire soit une forme de « pancake », soit une forme de « cigare ».

Vue d'artiste d'Oumuamua : sur un fond noir étoilé, on voit un corps oblong, ovoïdal allongé, de couleur gris anthracite et éclairé par le Soleil depuis la droite de l'image. C'est l'éventualité "cigare".
Oumuamua pourrait avoir la forme d’un « cigare » géant. Crédit : ESO/M. Kornmesser

« On sait aussi que le télescope spatial Spitzer de la Nasa n’a pas pu détecter Oumuamua dans l’infrarouge, ce qui veut dire que le corps ne radie que très peu de chaleur. Cela implique notamment une taille très petite, inférieure à 300 mètres de diamètre« , détaille Emmanuel Jehin.

Une accélération « anormale »

Toutefois, ce n’est ni la forme ni la brillance de l’objet qui ont orienté Avi Loeb vers une théorie « extraterrestre ». C’est son accélération. La reconstitution de la trajectoire montre en effet que la vitesse du « cigare-pancake » continuait d’augmenter même lorsqu’il s’éloignait du Soleil. « D’après la gravitation classique de Newton, nous aurions dû voir l’objet ralentir et non pas accélérer en s’éloignant du Soleil, la masse censée l’attirer« , appuie Yaël Nazé.

En revanche, pour le professeur d’Harvard qui se confiait à Télérama : « Lorsqu’il a rencontré notre Soleil, Oumuamua est passé d’une immobilité relative à un mouvement de fuite. Cela m’a conduit à l’hypothèse que non seulement Oumuamua était un objet artificiel, mais qu’il avait été conçu spécialement pour se trouver au repos dans notre galaxie. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de balise, comme une station relais posée là pour transmettre des informations de station en station, ou un panneau de signalisation placé à cet endroit pour aider les vaisseaux spatiaux dans leur navigation.« 

La pression de la lumière

Farfelu ? De manière plus scientifique, il existe deux causes possibles au comportement d’Oumuamua. D’un côté, l’astre se comporte comme une voile solaire. « La lumière exerce une pression. Même si quand on allume sa lampe, on n’est pas éjecté bien sûr ! » ironise Yaël Nazé. « Quand les photons du rayonnement solaire touchent un corps, celui-ci accumule de l’énergie sous forme de pression de radiation, une pression qui peut faire augmenter la vitesse« . Dans cette hypothèse, l’astre doit être très léger et très grand. Pancake géant ? 

Vue d'artiste d'une voile solaire construite par l'homme : au dessus de l'atmosphère terrestre, on voit un losange géant, de couleur gris métallisé, dans lequel se réfléchit la lumière du Soleil.
Vue d’artiste d’une voile solaire artificielle. Crédit : Nasa

D’un autre côté, la modification de trajectoire d’Oumuama peut être due à un dégazage. Tout comme une comète, si le corps contient de la glace, à l’approche du Soleil la glace se sublime ce qui éjecte du gaz et crée une poussée, comme pour une fusée. Or, aucune « chevelure » de gaz n’a été observée autour de 1I/Oumuamua. « Le dégazage à l’origine de l’accélération d’Oumuamua aurait pu avoir lieu lorsqu’il est passé au plus près du Soleil avant qu’on ne le découvre, ou alors était trop faible pour être observé« , précise Emmanuel Jehin.  

Un « pancake » rougeâtre

En outre, le spécialiste des petits corps ajoute que le visiteur est de couleur plutôt rougeâtre : « Nous ne connaissons presque rien de sa composition chimique. Certains ont imaginé qu’il contient de la glace de dihydrogène mais cela n’a jamais été observé dans le Système solaire. La couleur rouge peut aussi bien indiquer la présence d’oxyde de fer  rouille comme sur Mars , de tholins  substance organique comme sur Pluton  ou de glaces transformées par une exposition prolongée au milieu interstellaire ». 

Hélas, vraisemblablement, le mystère d’Oumuamua ne sera pas élucidé. Car seules de nouvelles observations, qui n’auront pas lieu puisque l’astre est déjà bien loin, pourraient débloquer la situation.

Un deuxième corps extrasolaire

Cependant, tout espoir pour l’étude des objets interstellaires n’est pas perdu. En août 2019, un deuxième astre de ce type a été détecté : 2I/Borisov. Également sur une trajectoire hyperbolique, sa chevelure indique qu’il s’agit cette fois clairement d’une comète de 2 à 3 kilomètres d’envergure.

Photo par Hubble de la comète 2I/Borisov, deuxième objet interstellaire détecté par l'homme. On voit sur fond noir, un point bleu brillant en bas à gauche, et un halo de lumière tout autour, de plus en plus diffus.
La comète 2I/Borisov. Crédit : Nasa/Hubble Space Telescope

Un deuxième astre. Cela faisait pourtant des années que l’on s’attendait à observer des corps extrasolaires. Le processus de formation des systèmes planétaires inclut en effet une phase de migration de certaines planètes vers leur étoile, planètes qui éjectent sur leur passage une quantité incroyable de corps hors du système. Tous ces astres se retrouvent alors dans l’espace interstellaire, où leur voyage continue jusqu’à croiser, peut-être, des millions d’années plus tard, la route d’autres systèmes stellaires comme le nôtre. 

Bientôt une détection tous les deux ans ?

Alors pourquoi n’a-t-on à ce jour observé que deux de ces objets et seulement récemment en provenance du cosmos ? Tout simplement parce que les projets de surveillance du ciel sont toujours plus nombreux et plus performants, notamment dans le but de prévenir d’éventuelles collisions d’astéroïdes avec la Terre.

Vue d'artiste du LSST, au sommet du Cerro Pachon au Chili : on voit l'observatoire terrestre, grand bâtiment blanc à flanc de montagne, des montagnes de couleur marron foncé à perte de vue, avec en fond un ciel bleu.
Vue d’artiste du LSST, au sommet du Cerro Pachon (2 715 mètres) au Chili. Crédit : LSST

Et comme on n’arrête pas le progrès, un observatoire spatial de toute dernière génération dédié à la surveillance du ciel, le Vera C. Rubin Observatory (LSST), doit être mis en service en 2022. « Ce télescope révolutionnaire de 8 mètres de diamètre sera capable de faire une image de tout le ciel de l’hémisphère sud… tous les trois jours avec une précision inégalée ! » s’enthousiasme Emmanuel Jehin. « Cela devrait permettre de détecter bien plus d’objets interstellaires qui pour la plupart sont petits et faiblement lumineux ». La probabilité de détection sera alors d’un objet tous les deux ans !