Pollution spatiale : une réalité qui inquiète

SpaceX, Amazon ou OneWeb, les mégaconstellations de satellites se multiplient et avec elles, la pollution spatiale. Prolifération des débris, gêne pour l’observation, risques de collisions… Zoom sur un phénomène inquiétant, en pleine accélération.

Vue d'artiste d'un maillage de satellites en orbite autour de la Terre. On voit la Terre en couleur bleu violet, côté Europe et Afrique, entourée de points blancs lumineux représentant les satellites en orbite et reliés entre eux.
Il existe aujourd’hui plusieurs dizaines de constellations de satellites miniatures dans le monde, partiellement en orbite ou à l’état de projet. Crédit : DNV GL

Les mégaconstellations

À ce jour, on recense plusieures dizaines de constellations de satellites miniatures, ou « smallsats », partiellement en orbite ou à l’état de projet. Elles sont notamment américaines, chinoises ou européennes, composées de 500 à plus de 10 000 satellites en orbite basse – entre 300 et 1 200 km d’altitude. Très en vogue, le concept du new space est apparu au début des années 2010 avec les cubesats, des satellites miniatures composés d’un assemblage de un à dix cubes de volume un litre.

Au départ destinés à des missions scientifiques et universitaires, les smallsats ont rapidement attiré l’attention des industriels, qui ont vu l’opportunité de concevoir des missions commerciales rémunératrices. En effet, qu’ils soient mini (100-500 kg), micro (10-100 kg), nano (1-10 kg) ou pico (0,1-1 kg), les smallsats qui composent les nouvelles générations de constellations en orbite basse (entre 300 et 1 500 km d’altitude) sont moins onéreux et plus rapides à fabriquer que les satellites classiques. Alors tout le monde s’y met, de plus en plus de pays et de plus en plus d’entreprises privées.

Photo portrait d'Elon Musk, patron de SpaceX, en costume gris foncé avec cravate, une maquette de navette spatiale à la main.
Elon Musk veut envoyer 42 000 minisatellites en orbite pour former sa constellation Starlink. Crédit : US Northern Command

Sans aucun doute, le projet le plus ambitieux est celui de la constellation Starlink de l’entreprise SpaceX. Fin 2021, déjà plus de 1 700 satellites ont été mis en orbite, et 12 000 engins sont prévus pour 2025. Le patron de SpaceX Elon Musk envisage même un total final de 42 000 smallsats ! L’objectif est de couvrir l’intégralité du globe dès septembre 2022, afin de donner un accès à Internet à toutes les zones, mêmes les plus isolées et dépourvues d’antennes terrestres.

Le fondateur d’Amazon Jeff Bezos vise quant à lui la fin de l’année 2022 pour envoyer dans l’espace les deux premiers prototypes de satellites de sa future constellation Kuiper, qui en comprendra 3236 en 2029. La société OneWeb de son côté, prévoit de lancer 648 satellites d’ici 2022, sachant que fin 2021, près de la moitié sont déjà en orbite. Boeing et Samsung ne sont pas en reste, avec des projets à respectivement 2 400 et 4 000 satellites. Ainsi, tous projets confondus, on devrait dénombrer pas moins de 100 000 satellites en orbite d’ici une dizaine d’années…

Une gêne pour les astronomes

Avec la multiplication des satellites en orbite, de nouvelles problématiques apparaissent. Tout d’abord, ces objets représentent une gêne lumineuse importante pour l’observation du ciel nocturne. Les smallsats ont en effet une magnitude apparente comprise entre 3 et 7, suffisante pour être visibles à l’œil nu.

« À peine 172 étoiles dans le ciel sont plus brillantes que les satellites Starlink« , explique un groupe d’astronomes professionnels italiens dans un article publié sur le site arXiv. Un phénomène qui pourrait avoir des conséquences sur le travail des professionnels de l’astronomie.

Vue de la Voie lactée en haut de l'image au dessus des antennes du télescope ALMA.
Les satellites miniatures pourraient perturber les observations des télescopes au sol à l’aube et au crépuscule.Crédit : Y. Beletsky (LCO)/ESO

Des astronomes de l’Observatoire européen austral (ESO) ont indiqué que les mégaconstellations pouvaient interférer avec le travail des télescopes. D’une part à l’aube et au crépuscule, quand les satellites sont éclairés par la lumière du Soleil puisqu’ils n’émettent pas de lumière eux-mêmes. D’autre part en raison des interférences des télécommunications en ondes radio qui pourraient perturber le fonctionnement des radiotélescopes. En outre, les détecteurs des télescopes à grand champ – qui permettent de générer de très grands ensembles de données et de trouver des cibles d’observation pour de nombreux autres observatoires – pourraient se retrouver complètement saturés.

Image d’un groupe de galaxies réalisée avec un télescope à l’Observatoire de Lowell en Arizona (États-Unis). Les lignes diagonales qui traversent l’image sont des traînées de lumière réfléchie laissées par des satellites Starlink lors de leur passage dans le champ de vision du télescope. Crédit : Victoria Girgis/Lowell Observatory

Depuis 2020, plusieurs observateurs français ont aussi rapporté que les satellites Starlink peuvent occasionner des flares identiques à ceux de la constellation Iridium (aujourd’hui hors service). Ces flares sont des augmentations très importantes de luminosité : durant quelques secondes, les satellites deviennent plus brillants que Vénus à son éclat maximum ! Comme les satellites Starlink se suivent, on assiste alors à une suite de flares toutes les 20 à 30 secondes, en un même endroit du ciel.

Visualiser la position des satellites Starlink et en temps réel : la carte 3D.

Un risque de collisions accru

La multiplication des satellites dans le ciel et donc des déchets qui en résultent pose également le problème du risque croissant de collisions. Un véritable danger car il faut savoir qu’un débris, même de quelques centimètres, se déplace à une vitesse telle qu’il peut causer autant de dégâts qu’une grenade à main en cas d’impact.

Animation qui montre la Terre entourée de millions de débris en mouvement.
Distribution des débris spatiaux autour de la Terre. Crédit : Esa

Plus de 34 000 objets de plus de 10 centimètres, dont 5 000 objets volumineux (coiffes ou réservoirs de fusées, satellites hors service…), et 900 000 débris de 1 à 10 centimètres errent aujourd’hui dans l’orbite terrestre selon l’Agence spatiale européenne (Esa). D’après l’association Union of Concerned Scientists, près de 2 800 satellites étaient opérationnels au 31 décembre 2020. Au total, on estime ainsi à 8 000 tonnes – l’équivalent de la tour Eiffel – la masse totale des objets actifs et débris qui orbitent au-dessus de nous. Les zones les plus saturées se situent entre 650 et 1 000 km d’altitude, et sur les orbites polaires et héliosynchrones, mieux adaptées à l’observation de notre planète.

La Station spatiale internationale (ISS) située entre 400 et 450 km d’altitude est blindée, mais protégée uniquement contre les objets de moins d’un centimètre. D’après le directeur de la Nasa, la seule constellation OneWeb qui sera localisée à 1 200 km d’altitude multipliera par huit le risque de collision avec l’ISS.

Photo sur fond noir avec la Terre sur la partie basse de l'image, de la Station spatiale internationale en orbite.
La Station spatiale internationale n’est protégée que contre des débris de moins d’un centimètre. Crédit : Esa/Nasa

Les débris en orbite sont aussi une menace pour les autres satellites actifs. Par ailleurs, un satellite ou un étage de fusée entier pénétrerait chaque semaine dans l’atmosphère terrestre de façon non contrôlée. Ces objets ne se désintégrant que partiellement pendant leur traversée de l’atmosphère, jusqu’à une tonne de matière peut atteindre le sol et causer des dommages.

Quelles solutions ?

Heureusement, les 34 000 débris de plus de 10 cm en orbite au-dessus de nos têtes sont surveillés, par exemple par l’Orbital debris program office de la Nasa depuis 1972 ou le Centre national d’études spatiales français (Cnes) depuis les années 1980.

De plus, des solutions sont en cours de développement. L’Esa a lancé le minisatellite RemoveDebris destiné à tester plusieurs techniques de collecte et de retrait des débris spatiaux. RemoveDebris a notamment testé un système de navigation optique pour repérer un nanosatellite dans son environnement proche. Il a aussi tenté de capturer un satellite miniature avec un filet et avec un harpon.

Photo du satellite expérimental RemoveDebris dans l'espace : il est cubique et sur fond bleu (les océans de la Terre)
Le satellite expérimental RemoveDebris a tenté de capturer un nanosatellite avec un filet ou un harpon. Crédit : Nasa

L’Agence spatiale européenne a également commandé à une start-up suisse le satellite ClearSpace-1. La mission, dont le lancement est prévu pour 2025, aura pour objectif de récupérer l’étage supérieur d’une fusée Vega lancée en 2013. Une première mondiale. Si les quatre bras robotiques font leur travail et parviennent à attraper l’objet pour le désorbiter, cela pourrait être le début d’un grand nettoyage de l’orbite terrestre.

Vue d'artiste sur fond de ciel étoilé bleu foncé du satellite nettoyeur ClearSpace-1 avec ses quatre bras vers l'avant et un bout de Terre en arrière plan en haut de l'image.
Vue d’artiste du satellite nettoyeur ClearSpace-1. Crédit : Esa

Par ailleurs, des scientifiques travaillent sur un concept rayon laser spécial, qui permettrait de « faire fondre » les débris. Le matériau qui compose les vieux satellites serait alors « décapé », et les débris générés propulseraient le satellite vers l’atmosphère terrestre pour se désintégrer.

L’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace français a quant à lui présenté à l’Esa un projet de remorqueurs équipés d’électroaimants qui ajusteraient la trajectoire des satellites en utilisant le champ magnétique terrestre. Le système serait ainsi capable de dévier un satellite à 10 à 15 mètres de distance sans entrer en contact avec lui, dans le but final de désorbiter le satellite.

Emprisonner les débris de petite taille dans de la mousse pour augmenter leur masse et accélérer leur rentrée dans l’atmosphère, fabriquer des satellites autodestructeurs… Vous l’aurez compris, les idées ne manquent pas, mais les projets de « nettoyage » semblent toutefois se concrétiser bien moins rapidement que les lancements de constellations…