Le mystère de Bételgeuse

Fin 2019, la luminosité de l’étoile Bételgeuse, une des plus brillantes du ciel d’hiver, a chuté de manière inhabituelle. Variabilité naturelle, nuage de poussière ou prémices d’une explosion en supernova ? Nous avons tenté de savoir pourquoi.

La constellation d’Orion, à laquelle appartient Bételgeuse, se dessine au bout de l’aile du moulin de Cassel (59).
Crédit : Sylvain Wallart

Bételgeuse, une étoile variable

Bételgeuse est une étoile de type supergéante rouge située à environ 600 années-lumière de la Terre. Située dans le top 15 des étoiles les plus brillantes du ciel, elle appartient à la constellation d’Orion. Elle y est la deuxième étoile la plus éclatante après Rigel. Mais au dernier trimestre 2019, sa luminosité a diminué de manière surprenante. Un phénomène perceptible même à l’œil nu !

Schéma sur fond bleu marine de la constellation d'Orion où l'on voit la place de l'étoile Bételgeuse (en haut à gauche), de Rigel (en bas à droite) ainsi que de la nébuleuse M42 (en bas au milieu).
Localisation de Bételgeuse dans la constellation d’Orion.

À première vue, cette variation pourrait sembler normale, puisque Bételgeuse est une étoile de nature variable (ou changeante). Plus précisément, Bételgeuse fait partie des étoiles pulsantes (la majorité des étoiles variables), ce qui signifie que son volume change de manière périodique. Elle gonfle et rétrécit en fonction de la quantité plus ou moins importante de chaleur émise en son cœur et emprisonnée par son atmosphère. Ceci influe sur sa luminosité.

Graphique garni de points verts qui représentent la luminosité de Bételgeuse en fonction du temps.
Courbe de lumière de Bételgeuse. La luminosité d’un astre est mesurée en magnitude apparente. Plus la magnitude est élevée, moins l’astre est brillant. Par exemple, elle vaut −26,7 pour le Soleil, 0 par convention pour l’étoile Véga et 13,7 pour Pluton.
Crédit : AAVSO/Light Curve Generator

À noter que quand Bételgeuse est très chaude et « petite », si on la plaçait au centre du Système solaire, son rayon s’étendrait jusqu’à l’orbite de Mars. Quand elle est au plus froid et à son volume maximum, son rayon atteindrait l’orbite de Jupiter, voire au-delà.

Bételgeuse vue par le télescope Alma : sur fond noir, on voir une sphère rouge-orangé irrégulière dotée d'une zone plus brillante en haut à gauche.
Bételgeuse vue par le télescope ALMA.
Crédit : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/E. O’Gorman/P. Kervella

La luminosité de Bételgeuse observée depuis la Terre oscille habituellement entre 0,2 (environ celle de Rigel) et 1 de magnitude apparente. Elle varie de manière semi-régulière selon trois périodes différentes : tous les 425 jours, tous les 100 à 180 jours, et tous les 5,9 ans.

En octobre 2019, Bételgeuse brillait à une magnitude d’environ 0,5. Mais au mois de décembre, amateurs et professionnels ont observé une forte chute de luminosité, jusqu’à 1,5 en toute fin d’année ! En seulement deux mois, Bételgeuse est donc passée de huitième étoile la plus brillante du ciel nocturne à… vingt-troisième. Une variation impressionnante, et une luminosité qui n’a jamais été mesurée aussi faible depuis l’apparition des mesures photométriques au début du XXe siècle.

Photo du ciel nocturne au dessus d'une forêt fin décembre 2019 - début janvier 2020 où l'on voit Orion et Bételgeuse.
Bételgeuse observée début janvier.
Crédit : Bob King/Sky & Telescope

Bientôt l’explosion en supernova ?

Une telle chute de luminosité est une des caractéristiques de l’entrée des étoiles massives dans la dernière phase de leur vie, juste avant qu’elles n’explosent en supernova. Or, âgée de 8 à 9 millions d’années, Bételgeuse est effectivement en fin de vie ! Alors, l’étoile va-t-elle exploser ?

Sa masse étant d’environ 15 masses solaires, elle a rapidement évolué en supergéante rouge, son état actuel. Depuis, la combustion des éléments chimiques se poursuit en son sein, par étapes, ce qui lui confère au fur et à mesure une structure en « pelure d’oignon ». Le fer est au centre, surmonté d’éléments de plus en plus légers, jusqu’à l’hélium et l’hydrogène dans l’atmosphère.

Schéma de la structure en pelure d'oignon d'une étoile massive où l'on voit la coupe d'une sphère orange (l'étoile), avec différentes sphères concentriques, chacune comportant un élément chimique.
Structure en pelure d’oignon d’une étoile massive.
Crédit : Astrophysique sur Mesure/Observatoire de Paris/U.F.E

Or, le fer est l’élément le plus stable de la nature. Sa fusion pour générer des noyaux plus gros et complexes comme le plomb ou l’uranium consomme donc de l’énergie au lieu d’en produire. Une fois le cœur de fer formé, la pression de radiation n’est donc en théorie plus suffisante pour compenser la gravitation, et le cœur de l’étoile s’effondre alors sur lui-même. L’énergie dégagée par les couches intérieures de l’étoile – pelures d’oignon – tombant vers le centre crée une onde de choc qui souffle les couches extérieures en une violente et spectaculaire explosion : la fameuse supernova. Un phénomène très rare, qui selon les astrophysiciens ne se produit pas plus de trois fois par siècle dans notre galaxie.

Bételgeuse doit donc exploser en une supernova de type II, qui sera visible depuis la Terre même en pleine journée et ce pendant plusieurs jours, avant de devenir une étoile à neutrons. Mais quand ? D’après les spécialistes, ce phénomène devrait se produire entre maintenant… et d’ici environ 100 000 ans ! Il n’existe aucun moyen de savoir précisément à quelle date.

Photo sur fond noir de Bételgeuse représentée par un point brillant, entouré de nimbes rouges qui représentent ses éjections de matière (vent stellaire).
Éjections de matière par Bételgeuse.
Crédit : Herschel/Esa

Nuage de poussière ou coïncidence ?

Cela étant dit, d’autres facteurs ont pu expliquer la baisse de luminosité de Bételgeuse. Par exemple, l’étoile éjecte très régulièrement du gaz sous forme de vent stellaire. Or, il se peut que ce gaz se soit condensé en poussière. Ce sont alors ces petits grains de matière solide qui auraient absorbé la lumière de l’étoile dans les longueurs d’onde du visible. D’où la baisse d’éclat significative observée depuis la Terre. Toutefois, les scientifiques notent que dans le domaine des longueurs d’ondes en infrarouge, la quantité de lumière reçue par les télescopes n’a pas diminué…

Enfin, une autre explication plausible est tout simplement due aux différentes périodes de variabilité de Bételgeuse. Selon la revue Astronomical Telegram, la faible luminosité était due à la coïncidence entre le minimum de luminosité de Bételgeuse selon son cycle de 5,9 ans, et un minimum plus marqué que la normale selon son cycle de 425 jours. La concordance de ces deux minimums aurait alors créé un « superminimum ».

Finalement, quelle que soit l’hypothèse retenue, la baisse d’éclat de Bételgeuse observée fin 2019 était incontestablement impressionnante et inhabituelle. Reste donc à garder un œil alerte sur le comportement de l’étoile…